Interview de Nicolas Sarkozy au journal Les Echos mis en ligne sur le site internet de l'UMP
Depuis que Ségolène Royal a dévoilé son " pacte présidentiel ", diriez-vous que la bataille s'organise désormais entre deux projets de société ?
Oui. Nous connaissons maintenant la direction du projet de Madame Royal. C'est le retour aux années Jospin. Les valeurs que Mme Royal met en avant sont celles de l'assistanat, de l'égalitarisme et du nivellement. Elle garde les 35 heures, elle n'encourage pas le travail, elle ne dit toujours pas si elle est dans la réhabilitation de l'impôt, mais on sait qu'elle est dans la réhabilitation de la dépense. Où est la modernité que l’on nous promettait ? Où est la mesure neuve ? Où est l'évolution du socialisme français à l'image des socialistes européens ?
La candidate développe l'idée du donnant -donnant. Ce n'est pas exactement de l'assistanat…
Elle énonce peut-être cette idée, mais quelle conclusion en tire-t-elle ? Aucune. C'est comme pour la réforme de l'Etat. C'est comme pour la dette. Elle juge son montant " insoutenable " et qu'annonce-t-elle ? Des dépenses en plus. Moi, quand je parle de droits et de devoirs, je suis précis : pas de minimum social sans une contrepartie en termes d'activité, pas de papiers pour rester durablement en France si on n'écrit pas, si on ne lit pas, si on ne parle pas le français, pas de revalorisation du minimum vieillesse sans une consolidation du régime des retraites. C'est quand même osé : Madame Royal nous annonce une augmentation des petites retraites de 5% et dans le même temps, le PS veut remettre en cause la loi Fillon. Comment peut-on raisonnablement dire aux Français : je vais augmenter les retraites et démonter dans le même temps ce qui permet de les financer ? Nous avons bien à faire à deux logiques différentes : l'assistanat d'un côté, la responsabilité de l'autre.
Sur le chiffrage des projets, vous êtes l'un et l'autre confrontés à la même critique : beaucoup de dépenses et peu de précisions sur les économies !
Je vais évidemment répondre à ce procès, mais cela ne sert à rien d'entrer dans le détail des propositions si l'on ne comprend pas la logique d'ensemble. La valeur qui fonde tout mon projet, c'est le travail. La stratégie qui crédibilise toute mon action consiste à dire aux Français : vous allez gagner plus parce qu'on va travailler plus. Et c'est comme ça que, collectivement, nous allons favoriser la création de richesses. Je veux faire de la France le pays de l'innovation et de l'audace.
De votre côté, est-il cohérent de vouloir à la fois baisser les prélèvements de 68 milliards d'euros en dix ans et ramener la dette à 60% du PIB en 2012 ?
Ce chiffre de 68 milliards d'euros, je ne l'ai pas pris au hasard. Cet allégement nous permet de ramener, en dix ans, la pression de nos prélèvements fiscaux et sociaux dans la moyenne de l'Union européenne à Quinze. On ne peut pas se vouloir européen et s'imposer des prélèvements supérieurs aux autres. Alors, est-ce compatible avec l'objectif de réduction de la dette ? Il y a le chiffrage, mais il y a, surtout, le raisonnement. Ma stratégie est de penser que nous réduirons nos déficits et notre dette le jour où nous réhabiliterons le travail.
Combien coûte votre projet et comment s'équilibre-t-il ?
Mon projet représente 30 milliards d'euros en cinq ans, dont 15 milliards d'allégements d'impôts et de charges. Mais je voudrais apporter deux éléments de compréhension essentiels. D'abord, ce n'est pas la même chose de dépenser pour assister et de dépenser pour investir. Neuf milliards d'euros pour la recherche et l'innovation ne sont pas équivalents à 9 milliards d'euros dépensés pour créer de nouveaux droits sans contrepartie. D'un côté il y a de l'investissement, de l'autre de l'assistanat. Ensuite, il faut savoir que les allégements de charges et d'impôts sur les heures supplémentaires amèneront des recettes de TVA. Mais comme vous m'interrogez sur l'équilibre financier de mon projet, je vais aller au bout. Mon objectif est de redéployer autour de 5% des 590 milliards d'euros de dépenses publiques qui peuvent être redéployées. Il y a des gisements considérables. Je me demande par exemple si l'on ne pourrait pas moduler les aides liées aux 35 heures pour verser davantage aux entreprises qui créent des emplois et ont une politique salariale active.
Quel sera le premier signal fort de désendettement ?
La mise en œuvre du principe selon lequel on ne remplacera plus que la moitié des fonctionnaires partant à la retraite. Depuis vingt ans, la France a créé un million d'emplois publics ! Je ferai de la réforme de l'Etat un grand chantier présidentiel. Il faudra bien réussir la fusion des services des impôts et de la comptabilité publique, celle de l'Unedic et de l'ANPE, celle des services de renseignement. J'encouragerai les administrations à le faire par un budget annexe, alimenté par les recettes de privatisation, qui donnera des moyens supplémentaires aux ministères qui font des réformes de structure. Dans le respect de la loi qui a été votée sur ma proposition, le capital d’Edf peut bouger.
On vous prête l'intention de scinder le ministère des Finances ?
Je réfléchis à la réorganisation du ministère de l'Economie et des Finances. Il y aurait d'un côté la gestion des comptes, ceux de l'Etat et de la Sécurité sociale, qu'il serait logique de réunir. Et de l'autre, je voudrais un ministère de la stratégie économique, voire, osons le mot, de la production, pour que la France ait une vraie réponse à la mondialisation.
Si vous êtes élu, quel sera votre calendrier ?
Ma priorité sera d’abord la modernisation de la démocratie sociale, car les réformes ont toujours échoué pour l'avoir négligée. Le premier pilier de cette modernisation sera la liberté de présentation au premier tour des élections professionnelles. Je susciterai une grande négociation paritaire, pour voir comment on met cela en œuvre.
Deuxièmement, je veux clarifier une bonne fois pour toutes les domaines respectifs du législateur et des partenaires sociaux. Notre système actuel ne fonctionne pas. Je voudrais que les partenaires sociaux disposent de façon effective et systématique d’une période de 6 à 8 mois pour trouver, dans le champ qui est le leur des réponses aux questions qui leur sont posées en matière de droit du travail.
Le contrat unique de travail sera-t-il soumis à cette négociation ?
C'est évident, comme la sécurité sociale professionnelle, les deux formant ensemble la flex-sécurité. Il n'est pas question pour moi d'avancer sans concerter. Je fixerai des perspectives, et parmi elles le contrat de travail unique. Ce contrat n'est pas de l'idéologie mais, pour moi, une façon de transcender les effets de seuils CDD-CDI et les injustices qui vont avec. Il y aura un dialogue pour la mise en oeuvre. Troisièmement : je veux un service minimum dans les transports et les autres services publics. C’est la contrepartie du monopole. Sur ce point, il y aura une loi dès juin. Quatrièmement : je veux poser la question du vote à bulletin secret dans les entreprises, les universités, les administrations au bout de 8 jours de grève.
Alain Madelin et le PS dénoncent des risques d'inconstitutionnalité au nom du droit individuel à faire grève
Ce risque est inexistant. Ce n'est pas parce que 90% des salariés voteront pour la reprise du travail, que les 10% restant ne pourront pas continuer à faire grève. Ils ne pourront pas en revanche maintenir des piquets de grève.
La question des heures supplémentaires sera-t-elle soumise à concertation ?
Le principe de l'exonération des impôts et des charges n'est pas négociable. En revanche, je serai très attentif à ce que diront les syndicats pour garantir le volontariat. Je ne veux pas faire à l'envers les mêmes erreurs que Martine Aubry. Dès l'été, je soumettrai à négociation cette question : comment protège-t-on le salarié qui ne veut pas faire d'heures supplémentaires ?
Est-ce que cela ne va pas favoriser les salariés en place, sans créer d'emplois nouveaux ?
QU'est ce qui crée de l'emploi ? C'est l'activité. Si on augmente le pouvoir d'achat des personnes qui gagnent 1200 ou 1500 euros, le supplément va tout de suite dans la consommation, il n'est pas thésaurisé. L'activité crée de la croissance qui crée de l'emploi. C'est ce qu’ont fait tous les pays qui ont réussi. L'alpha et l'oméga de la croissance économique aujourd'hui, c'est le travail et la connaissance.
Combien de temps les partenaires sociaux auront ils pour négocier ?
L'été. Il faut qu'on soit prêt à l'automne. Cela devra être également le cas pour la recherche et l'université. J'élaborerai dès l'été 2007 un statut d'autonomie pour les universités françaises : autonomie de décision, autonomie pour les programmes, autonomie pour le choix des étudiants, pour le recrutement des professeurs. Les universités qui choisiront l’autonomie auront la possibilité d'accéder à de nouveaux financements. Nous sommes les seuls au monde à ne pas favoriser le mécénat. Mais aucune université ne sera obligée de choisir l’autonomie. Parmi les grands chantiers présidentiels, je fixerai comme objectif que, dans chaque région, il y ait un campus de dimension européenne : avec une bibliothèque ouverte le dimanche, des logements pour les chercheurs et les étudiants, des installations sportives. L'Etat investira massivement. Je créerai les conditions d'un véritable service de l'orientation, avec évaluation de toutes les filières. Je suis persuadé que la sélection, on la subit lorsque l'orientation et l'évaluation font défaut. Enfin, dernière priorité de l'été, le volet justice et sécurité, avec notamment les peines planchers pour les multirécidivistes, la réforme du droit pénal des mineurs, la responsabilité des magistrats
Le bouclier fiscal à 50%, incluant la CSG, sera t il mis en œuvre à l'été ?
Il le sera quand ce sera possible. On ne peut pas faire la même chose avec 1,5% de croissance et 3%. Mes priorités fiscales sont l’exonération des heures supplémentaires, la suppression des droits de succession pour la quasi totalité des ménages et la déduction des intérêts d'emprunt pour financer l’acquisition de son logement. L'objectif est simple : il faut redonner aux classes moyennes la possibilité d'être propriétaire. Avec une inflation basse, les taux d'intérêt réels sont élevés. Je suis partisan d'une déduction assez large même s'il faudra sans doute un plafond.
Vous avez toujours dit que vous n'étiez pas hostile à la TVA sociale, est-ce encore le cas ?
Je regarde avec intérêt ce qui se passe en Allemagne. Tout le monde annonçait une catastrophe. Or il n'y a pas eu de hausse des prix ni de récession. C'est important de le savoir. J'étudierai cette piste.
Que pensez-vous de l'idée, défendue par Dominique Strauss-Kahn, d'un impôt sur les expatriés, immédiatement rebaptisé " impôt Johnny " ?
J'ai rarement vu une idée plus étrange que celle qui consiste, alors que tout est fait pour encourager les Français à la mobilité notamment en Europe, à taxer ceux qui vont porter la culture de la France et ses intérêts économiques hors de nos frontières. C'est absurde. Comment faire la distinction entre ceux qui partent pour des raisons fiscales, d'études ou pour je ne sais quel motif encore ? Je souhaite bon courage à Dominique Strauss Kahn pour expliquer à l'entrepreneur qui part travailler en Europe centrale ou orientale pour conquérir des marchés qu'il va devoir payer un impôt supplémentaire…
En revanche, je veux poser clairement dans cette campagne la question de la moralisation de la mondialisation financière. Nous n'avons pas créé l'euro, pour avoir un capitalisme sans éthique et sans morale. Je suis extrêmement préoccupé par les mouvements spéculatifs. Qui peut tolérer qu'un hedge fund achète une entreprise grâce à des emprunts, licencie 25% des salariés pour les rembourser et la revende par appartements ? Pas moi. Dans cette économie là, il n'y a aucune création de richesses. L'éthique du capitalisme, c'est que celui qui crée de la richesse gagne de l'argent et que celui qui crée beaucoup de richesses gagne beaucoup d'argent. C'est normal. En revanche, la spéculation n'est pas normale. Le capitalisme ne survivra pas sans le respect d'un minimum de règles éthiques. La zone euro doit être à l'avant-garde de cette réflexion.
Faut-il aller jusqu'à des mesures coercitives ?
Si je suis élu président de la République, je demanderai au ministre des Finances de porter, au niveau européen, une proposition de moralisation et de sécurisation du capitalisme financier. A cet égard, la taxation des mouvements spéculatifs est une idée qui me paraît intéressante si elle est portée au niveau européen. Je veux faire de la France un pays qui récompense la création de richesses, mais qui sait aussi frapper les prédateurs.
Ségolène Royal a eu elle aussi un discours très dur la semaine dernière sur " l'argent rapace " et les " conglomérats de la finance et des médias "…
Je ne vous cacherai pas que son discours m'a fait sourire, pour ne pas dire plus, venant de la part de quelqu'un qui n'a pas été, que je sache, desservi par les médias!
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